Extrait et lien :
« A lire le stupéfiant monologue d’Irène qui ouvre le livre, on songe rapidement à quelques plumes écorchées, Sylvia Plath, Sarah Kane ou Alejandra Pizarnik, pour lesquelles l’élocution, plus que l’écriture, était une déchirure tendue vers un ailleurs impossible à atteindre, vers « les hauts-plateaux et à la pointe qui comporte la dernière pierre du continent ». Comme ces incandescentes, Irène avait « toujours rêvé d’aller au bout. » Mais réduire à une écriture féminine cette parole en formation, ce que j’appellerai après d’autres une forme de vie en devenir, serait quelque peu décevant. Car Irène, que j’imagine un peu sous les traits de Yolande Moreau, cherche précisément à s’affranchir de ce rapport homme-femme entretenu avec Nestor, son mari qui ne la comprend plus et croit entendre en elle une autre voix, « étrangère », qui ne répondra plus au son de la cloche qui la faisait venir auprès de lui comme un vulgaire bétail. L’histoire d’Irène est celle d’une éclosion, d’une libération murie et permise par la dilatation progressive des perceptions — ce que d’aucuns s’autorisent à qualifier de folie :
C’est en revenant de ces hautes pierres que l’on me dit folle la première fois ; folle de parler à un oiseau, folle d’y voir mes espérances et leur chute comme un corps. Et puis il y en eut une deuxième et une troisième quand j’entrepris sans prudence, j’en conviens, de sortir de ma cage. Je marchais. A chaque pas, un mot déjà, à chaque pas la possibilité d’en trouver un autre, même hésitant, balbutié. »